NOS DIFFÉRENTS REGARDS CROISÉS



ÉTAT ET DÉCENTRALISATION


Décentralisation

Les associations paysannes ont pris de nombreuses initiatives à caractère public : elles assument la construction des adductions d’eau, elles gèrent des centres d’expérimentation, des écoles, des dispensaires. Par leurs activités, elles acquièrent le droit d’être présentes dans des instances officielles, comme les comités locaux de dévelopement constitués autour de l’administrateur local. Demba Keita explique ceci pour l’arrondissement de Nyassia, au Sénégal :

 

« Quand il y a des rencontres au niveau de l’arrondissement, si cela doit nous intéresser, le sous-préfet nous invite. Mais aussi notre association invite. On a organisé, en 1995, deux réunions avec les conseillers et les présidents des communautés rurales, le sous-préfet et le chef de CER, pour voir les problèmes d’attri-bution des terres. Nous avons organisé la première réunion et la deuxième a été organisée par le sous-préfet. »

 

Observons, dans le cas du Sénégal, comment s'est construit cet accès des responsables paysans aux affaires publiques locales. Le président Léopold Sédar Senghor avait, dès 1973, posé la première pierre de ce qui est aujourd’hui la mode au sein des agences d’aide : la décentralisation. Instituant des conseils de com-munautés rurales, avec élection des conseillers, un budget et un certain nombre de pouvoirs en particulier sur l’attribution des terres, cette réforme ouvrait la voie. Jusqu’aux années 1990, elle n’a cependant eu que bien peu d’effets : les sous-préfets ont géré les micro-budgets des communautés rurales sans arriver à en faire le noyau mobilisateur des apports des autres intervenants ; et ces derniers, généralement, ont continué à ignorer les communautés rurales, sinon pour leur cofinancer quelques micro-réalisations. Même les organisations paysannes autonomes ont mis du temps à s’y intéresser. Devenir conseiller rural a d’abord été l’affaire des notables liés au parti au pouvoir. Une exception cependant : premier responsable d’une organisation autonome à se présenter aux élections locales en 1978, le fondateur de l’ASESCAW a été élu président de la communauté rurale de Rosso où les enjeux fonciers étaient essentiels.

C’est seulement à partir de 1990 que beaucoup d’unions de groupements ont décidé de s’intéresser aux élections locales. Désormais, les membres des organisations paysannes autonomes sont parfois majoritaires parmi les élus des conseils des com-munautés rurales. Ainsi, à Fissel, arrondissement de la région de Fatick, où l’association paysanne Jig-Jam a près de vingt ans en 1995, ses membres dirigent les assemblées locales. Et au-dessus du niveau des trois communautés rurales, Jig-Jam a créé une commis-sion de coordination des acteurs de développement où se discutent les interventions de la vingtaine d’organisations publiques et privées qui agissent dans l’arrondissement. Le sous-préfet reconnaît cette structure et coopère avec elle pour planifier et répartir les investissements des différents intervenants.

 

Extrait du livre de Marie Christine Gueneau et Bernard J.Lecomte "Sahel : Les Paysans dans les marigots de l'aide" p.262


Rapports États / paysans

"Pour réussir ce premier pas d'un partenariat qui, dans l'esprit du CNCR, demande une préparation à tous les niveaux, nous rencontrons des difficultés.

La première est la faiblesse des capacités d’analyse et de réflexion de notre mouvement et la composition de celui-ci. Par exemple, les politiques sectorielles promues par l’Etat, concernent chacune des filières de production et les représentants paysans des organisations au sein de l'une de ces filières sont également des acteurs au sein d’autres filières. Par ailleurs, les dossiers à partir desquels sont organisées les concertations avec l'Etat et la BM sont des dossiers volumineux et analysés sur le plan macro-économique. Or, rarement un délai est accordé aux paysans pour prendre le temps d'en prendre vraiment connaissance. Un temps nécessairement long parce que, tout simplement, nous devons discuter au niveau des communautés rurales, des départements, des régions pour arriver à un consensus au niveau national. Ce temps n’existe pas ! Et si nous le réclamons : "c'est de la responsabilité du CNCR de s’organiser et de préparer les concertations", nous rétorque-t-on. C'est en partie vrai car notre première contrainte est la faiblesse de nos capacités et connaissances sur les questions macro-économiques aujourd’hui dominantes dans les négociations.

Une deuxième contrainte réside dans le fait que les ministères, représentés par les services nationaux, ne sont pas toujours d’accord entre eux sur les rôles et les fonctions de chacun d'eux dans le pilotage des dossiers. Donc, dans les rencontres de concertation, souvent des prises de position divergentes entre les représentants de l’Etat ne permettent pas un débat profond sur les questions posées.

Une troisième contrainte est celle de la lisibilité ; nous nous rendons souvent compte que les dossiers ne présentent pas tous les aspects du sujet à traiter. Lorsqu'on fait remarquer cette insuffisance, voilà la réponse que l'on nous donne : "ce sont là des questions plus générales ou transversales". Les responsables paysans, autour de la table, viennent d’horizons différents et ce manque de clarté sur des questions souvent essentielles mais plus ou moins cachées rend difficile de former un groupe uni qui fasse avancer la position des paysans.

Une contrainte supplémentaire, et non la moindre, est la langue et le langage utilisés au cours des réunions. Souvent, les représentants du CNCR doivent faire, pour leurs collègues paysans, la traduction dans l'une ou l'autre des langues nationales et n’ont pas le temps nécessaire pour traduire et suivre l’exposé en cours, sans compter que nombre de concepts sont nouveaux pour nous.

Enfin, le gouvernement n’est pas toujours disposé à prendre des mesures pour corriger ces insuffisances d'organisation du dialogue qu’il regrette – en tous cas, certains responsables nous le disent – et chaque fois la situation se répète : nous sommes invités à la date limite, nous sommes invités parce qu’il y a urgence, nous sommes invités parce qu’il y a des "conditionnalités" qui, si elles ne sont pas "remplies", vont bloquer les négociations entre les partenaires extérieurs et le gouvernement. Autant de situations qui peuvent rendre dénuées de sens ces rencontres alors qu'elles sont essentielles."

 

Extrait du livre de Mamadou Cissokho "Dieu n'est pas un paysan" p.141


Élections / Partis

Et avec les hommes politiques ?

Les hommes politiques, on a besoin d'eux car ils sont à l'Assemblée et au Sénat, et que le système de la crise, quelque part, est affecté par les décisions prises par les politiques ! Quand on organise des séminaires de bonne gouvernance, on les associe, on les invite.

 

Font-ils pression pour que vous deveniez des « politiques » ?

Pas de pression, parce qu'ils savent que nous avons une autre mission et quand je rencontre le

secrétaire général de la présidence, qui voudrait être maire de Ziguinchor, il ne me pousse pas, il sait que j'ai le développement dans le sang ! Commencer à faire de la politique, c'est commencer à me débrancher des questions de développement ! Un responsable d'organisation qui s'occupe de développement, le jour où il va commencer à faire de la politique politicienne, on l'a perdu !

 

Extrait du livre de Demba Keita ”Vingt ans de lutte pour rétablir la paix”


Difficultés de dialogue avec le pouvoir

Quand WADE est venu en 2000, il lui fallait casser cette dynamique d'une organisation créée et voulue par les paysans eux-mêmes ! Donc, pour affaiblir le CNCR, l'Etat a créé ses propres organisations et même un syndicat paysan ! Nous, les paysans, ne pouvons pas être une force si on n'est pas uni et si on n'est pas reconnu par l'Etat. Or, les organisations paysannes ne regardent pas toutes dans la même direction.

 

Depuis 2000, il est difficile de faire entendre vraiment la voix des paysans et de défendre l'intérêt des paysans sur les questions essentielles. Parce que le terrain est complètement déstabilisé ! On a le président le plus rusé ! Si tu penses avoir attrapé la tête, tu te rends compte que tu as attrapé les pieds! Il est imprévisible, si tu penses qu'il va sortir par la porte, il sortira par la fenêtre. Ses collaborateurs ne savent pas ce qu'il fera demain. Face à lui, le mouvement associatif a un problème de redynamisation car chacun essaie de s'accrocher à n'importe quel wagon, c'est une question de survie ! Si ton organisation n'a pas les moyens de fonctionner et qu’une autre organisation est là, bien subventionnée, tu vas aller vers elle et t'y accrocher. Un sac vide ne peut pas se tenir debout !

 

Extrait du livre de Demba Keita ”Vingt ans de lutte pour rétablir la paix”


Comités locaux de concertation des producteurs

Une action de l'Etat, en collaboration avec le Conseil National de Concertation et de Coordination des Ruraux - le CNCR qui avant maintenant cinq ans - met en place, à partir de 1998, des ”Comités Locaux de Concertation des Organisations de Producteurs”, les CLCOP. Pour quoi faire ? Dans une communauté rurale, les membres de ce ”Comité Local” discutent de leurs problèmes, cherchent des solutions possibles et aident les groupements de producteurs à réaliser leurs projets. 

Mamadou Cissokho précise : ”En 1997, une nouvelle loi sur la décentralisation (...) offrait au Comité Local des opportunités pour créer, au niveau local, une synergie entre l'ensemble des acteurs ruraux dans un respect mutuel. les différentes fonctions du développement local sont discutées, négociées et approuvées par l'ensemble des acteurs. C'est pourquoi, nous au CNCR, n'avons pas dit aux OP : ”Si vous portez tel vêtement, vous pouvez en faire partie, si vous vous coiffez de telle manière, non”. Toutes y ont eu accès.”

 

Mamadou Cissokho ”Dieu n'est pas un paysan” p.145, 147


Communautés rurales

Au niveau de l'Union, nous nous sommes dit que le développement est un tout dont il ne faut pas laisser l'initiative aux seuls politiciens et aux non-membres. Certains d'entre nos membres devraient être élus au Comité de leur communauté rurale. Et pour être élus, il faut qu'ils soient compétents, qu'ils connaissent leur rôle et leur responsabilité. Et, à cette fin, nous avons décidé que tous nos membres devaient comprendre ce qu'était cette réforme et l'engagement que chacun pouvait y prendre. Et avant tout chacun devait connaître les neuf compétences transférées par l'Etat aux communautés rurales. Et nous avons obtenu des résultats parce que bon nombre de nos leaders ont été élus à ces instances. Par exemple, Falilou, le président de l'Union a été conseiller à Mecké. Pour permettre à ceux-ci de participer activement au développement des communautés, nous les informons aussi bien que possible.

Une activité importante est l'appui à la décentralisation, un processus qui donne aux communautés rurales de plus en plus de devoirs et de droits. Et c'est à nous d'agir pour que les acteurs ”à la base” puissent mieux connaître les lois. Des actions ont été engagées pour créer un cadre, une sorte de contrat entre les différents acteurs de la décentralisation. Par exemple, quelques membres de l'Union - dont des animateurs - participent à l'élaboration du Plan Local de Développement de leur communauté rurale. De même, le Programme national d'infrastructures rurales ayant besoin d'un diagnostic au plan local, il a été fait appel aux animateurs pour contribuer à ce travail. Et puis, nous sommes en train de mettre en place un centre de formation grâce à un partenaire, une collectivité locale de la région Méditerranée, en France, qui coopère avec la région de Thiès, dont le Cayor fait partie.

 

UGPMNous sommes devenus fiers d'être paysans” p.101-102