NOS DIFFÉRENTS REGARDS CROISÉS



JEUNES


Formation professionnelle

'Le premier centre de formation professionnelle, celui dont nous rêvions en France, est tombé aux oubliettes. Pourtant, on en a parlé, et reparlé. Finalement, on s'est dit : « On s'est trompé, on va travailler dix ou quinze ans, et le besoin se fera alors ressentir chez les gens. À ce moment-là, on pourra réfléchir à la mise en place d'un centre de formation. »

Et voila enfin qu’en 2012, un centre de formation de mécanique auto a été créé à Tamba. Aujourd'hui, beaucoup de jeunes suivent cette formation, et ils sortent avec un CAP reconnu par l'État. L'initiative vient d'un émigré, Doumbouya Dembélé, un copain de Thiédel. C'est un lutteur professionnel qui a travaillé quarante-sept ans chez Peugeot à Aulnay. La Fondation Peugeot a soutenu le projet de son association, même un car, qui amène les stagiaires tous les matins ! L'État du Sénégal a aussi envoyé des professeurs : ils sont onze maintenant. Son projet, il l'a réalisé, et beaucoup de nos jeunes sont là-bas. C'est un centre ultra moderne qui fonctionne bien, c'est le plus important de la sous-région, pouvant former cent cinquante jeunes par an. Ce centre a été fondé vingt-cinq ans après notre retour ; peut-être que d'autres centres viendront !

À Tamba, un autre centre est soutenu par l'État qui est prêt à faire des formations décentralisées (cuisine, coiffure, couture) en allant sur le terrain dans une commune. Il y a aussi l'IAM (Institut Africain de Management), un institut privé de formation en développement local et gestion, mais il faut avoir le bac et les moyens de payer pour y accéder. Mon secrétaire a fait sa formation là-bas."

 

Extrait du livre de Baganda Sakho "L'émigration n'est pas la solution" p.204

 


Culture


"Cependant, récemment j'ai été contacté : « Est-ce qu'un village de votre commune aimerait organiser des journées culturelles en vue de présenter une émission sur les traditions ? » On en a parlé en réunion, et le PCR de Tabanding s'est engagé pour parler de la circoncision et du mariage chez les Soninkés. La télévision est venue, et le réalisateur nous a fait travailler pour nous ramener cinquante à septante ans en arrière. Pendant deux jours, ils ont filmé et ce film est passé récemment à la télévision. Je n'ai pas pu le regarder, car j’étais en mission dans une zone sans couverture, mais j’ai eu des échos par la suite. Il n'y a pas très longtemps, j'étais dans la cour à la maison, et quelqu'un a appelé pour dire : « Le film passe ! » Depuis, de toute la sous-région, mais aussi d'Italie et de France, on m'appelle : « C'était beau à voir, c'était bien ! » Et ici, les vieux me disent : « C'était comme ça. »

En tout cas, l'actuel directeur de la RTS (Radio Télévision sénégalaise) s'est donné pour mission de valoriser nos cultures. Je souhaite qu'on montre aussi des innovations, comme l'invention de la décortiqueuse de fonio par un jeune originaire de Kolda. Il faut parler à la télé de ces gens-là. Montrer qu'être né à Koar ou à Naoundé, ce n'est pas être un incapable.

Regardons les présidents du Sénégal : aucun n'est de Dakar. Senghor est né à Joal-Fadiouth, Abdou Diouf est originaire de Louga, Abdoulaye Wade de Kébémer et l'actuel président Macky Sall de Fatick. Pour l'instant, Dakar n'a mis au monde aucun président ! Il faut mettre cela dans nos têtes. Il y a peu, Madame la Premier Ministre d'alors, quand le Conseil des ministres décentralisé s'est tenu à Tamba, est allée à son ancienne école voir son ancien instituteur du CE1. Par curiosité, je me suis joint à la délégation qui l'accompagnait. Quelle émotion quand elle et lui se sont embrassés et se sont mis à pleurer ! Ce sont des choses à montrer à la télévision aux jeunes à la place des feuilletons et de la danse."

 

Extrait du livre de Baganda Sakho "L'émigration n'est pas la solution" p.207

 


Émigration

"Avec le Conseil rural, j'ai pu organiser, en 2002, un chantier-jeunes pour la construction du Centre culturel de Kothiary. J'ai voulu que ce soit un groupe mixte composé de jeunes Français de souche, de jeunes Français originaires de notre région et de jeunes de Kothiary. On a fait ce chantier, et je peux remercier le ciel, car il s'est très bien passé. Dans une entente parfaite entre les trois composantes. Tout le monde a aidé à mélanger le ciment, à pousser la brouette. Ils n'ont pas fait seulement du béton, et ne sont pas restés sur place à Kothiary. On a associé l'utile à l'agréable. Ils ont fait aussi du tourisme : avec l'hivernage, la chasse était fermée, mais on a fait une partie de chasse, histoire de poursuivre les phacochères, d'essayer de les tirer sans fusil. Il y a eu des soirées culturelles récréatives. Tous sont allés au Parc du Niokolo Koba, ont visité Bakel et participé aux Journées culturelles soninkées de Bakel. Ils ont vu à Bakel le fleuve Sénégal (sur lequel ils ont fait un tour en pirogue), le pavillon René Caillé, le Fort Faidherbe, le cimetière français, et ont continué vers le Nord. Après avoir visité l'île de Dioudj et ses oiseaux à côté de Saint Louis, ils sont rentrés en France.

Les jeunes sont repartis très contents. D'ailleurs, l'une d'entre elles a trouvé ici un mari, pas à Kothiary mais à côté ! Malheureusement, ou heureusement, française de souche, elle a emmené son mari en France. Ce n'était pas le but, car j'aurais voulu qu'ils vivent ici. D'ailleurs, pour les vingt ans de l’association Coopération et Solidarité Internationale (CSI) de Montrevel-en-Bresse , ils sont tous venus, du moins ceux de ces jeunes qui vivent encore en France. Nous avons terminé la soirée à Bourg-en-Bresse. Une belle soirée d'ailleurs : je pense que, le lendemain matin, le réveil a été difficile pour certains !

Il faut dire aussi que l'échange avec Montrevel nous a beaucoup apporté, et nous a beaucoup enrichis. Ils ne donnent pas tellement de sous, mais ils font mieux que ça : souvent, ils nous invitent, on vient avec des jeunes et des femmes, on visite des fermes françaises, on discute avec les gens, on va parfois jusqu'à Paris voir les migrants dans les foyers, voir leurs conditions de vie… Toutes ces visites dans cette réalité ont découragé pas mal de jeunes d'émigrer."

 

Extrait du livre de Baganda Sakho "L'émigration n'est pas la solution" p.112


Communication

La radio, la télévision, et les téléphones portables sans oublier les moyens de transport ont fait "éclater l'information". Par conséquent, nos jeunes peuvent voir ce qui se passe à des milliers de kilomètres et s'intéresser à certaines choses qui, pour nous les adultes ou les anciens, paraissent tout simplement inutiles. Cette nouvelle situation dans laquelle nous évoluons s'est imposée avec une rapidité qui nous a surpris. Au lieu de la décrier ou de déclarer : "c'est la fin du monde", comme on l'entend souvent, il serait préférable de prendre en compte aujourd'hui les besoins et les aspirations de chacun.

Nous, groupements, pourrions aider à promouvoir une autre dynamique de concertation au sein de chaque exploitation familiale, pour la définition et la mise en œuvre des activités et la gestion de celles-ci. Cette méthode peut devenir un élément d'espoir pour les jeunes.

Parce qu'en plus du problème des revenus, il nous faut tenir compte du découragement de certains jeunes, lassés de constater qu’ils ne sont pas pris en compte, qu'on ne demande pas leurs points de vue ni leurs idées bien qu'ils constituent la plus grande force de travail.

En outre, les jeunes, filles ou garçons, nos épouses, nos sœurs occupent, dans l'exploitation familiale, plusieurs fonctions déterminantes. Il est important d'accepter une nouvelle organisation leur permettant de se retrouver autour du chef de l'exploitation familiale, pour parler de leur vie et de leur avenir en tant que famille dans la communauté. Car si nous voulons continuer à défendre la vie communautaire, il nous faut inventer, conformément aux règles intéressantes de nos traditions, des façons de décider et de vivre telles que chacun et chacune puissent se sentir concernés et responsables.

C'est là le premier pas, le premier jalon vers ce que nous appelons "notre responsabilité dans notre vie et notre contribution au monde humain". C'est au sein de la famille qu'il faut discuter si nous pensons encore que l'engagement dans les activités rurales a un sens. Et pour qu'il ait un sens pour chacun des membres de la famille, chacun doit pouvoir apporter son point de vue. Une fois que nous sommes convaincus de cela, il nous faut donc accepter que le conseil de famille, certains parlent "d'assemblée de famille ", ait une responsabilité et un rôle prépondérants sur nos vies. Et tous sauront ainsi que les ressources qui vont provenir de leur travail seront bien réparties et seront bien utilisées pour le bien-être de chacune et de chacun.

Aujourd'hui, la vie en milieu rural pour les jeunes n'est pas supportable. Il est rare de voir un jeune bénéficier de 300 000 FCFA de ressources financières par année. Ce jeune, marié avec un ou deux enfants, a des besoins différents de ceux de ses parents. Et souvent, quand il a eu 300 000 F une année, l'année suivante il est presque certain de n’obtenir que la moitié ou, dans le meilleur des cas, d'en perdre 30% à cause de la dégradation des ressources naturelles, du marasme des marchés et de l'ouverture de nos marchés sur l'extérieur.

 

Extrait du livre de Mamadou Cissokho "Dieu n'est pas un paysan" p.247

 


Au sein de l'exploitation familiale

Comment font aujourd’hui les jeunes ?

 Les jeunes sont obligés de construire chacun leur avenir car ils ne peuvent compter sur les biens de papa, surtout quand celui-ci a 10 ou 15 enfants. Individuellement, chacun se bat, soit en entretenant des vergers, soit en obtenant un diplôme pour entrer dans l’administration, soit en s’exilant vers d’autres cieux pour trouver de quoi construire sa propre famille. S'il veut faire un verger, il négocie avec son père, lequel prend dans son propre espace, s’il en a assez. Sinon il négocie avec la grande famille pour voir s’il y a une possibilité. En général, c’est très loin, 3 ou 4 km du village car tout autour du village, c’est occupé. Quand il n’y a plus de terre disponible, il négocie à l’intérieur de la grande famille. Maintenant s’il n’y a pas de possibilité, il négocie avec d'autres familles. En pays diola, il n’y a pas de chef de terre. En Basse Casamance, les terres appartiennent toutes à quelqu’un. C'est pourquoi la loi sur le domaine national (qui stipule que la terre appartient à l'Etat, sauf les parcelles cadastrées) nous crée des problèmes.

 

Extrait du livre de Demba Keita ”Vingt ans de lutte pour rétablir la paix”