Quand les poissons nagent dans les poubelles...

 

imgres18 heures, ce vendredi. Je fais mes courses dans un supermarché de mon quartier que je ne nommerai pas. Devant la poissonnerie, je tombe en admiration. L’étalage si bien fourni, l’accueil de la vendeuse, tout est tentant. J’achète deux tranches de saumon. Voyant tout ce qui reste sur l’étal, je suis traversée par une question :   « Tous ces poissons ne seront pas vendus aujourd’hui ni sans doute demain, que vont-ils devenir ? »

Une question qui me taraude

A la responsable du rayon, en train de me servir, je pose la question qui me taraude. Et voici sa réponse :

- Je vais mettre au frigo les plus frais que je pourrai encore vendre demain. Mais le reste, je suis obligée de le jeter. Je ne peux pas risquer de vous rendre malade !

- Vous ne le donnez pas aux restos du coeur ? 

- Je ne peux pas le donner aux associations et d’ailleurs, elles n’en veulent pas, elles ne sont pas organisées pour cuisiner. 

- Cela vous fait des pertes !

- Oh ! Nous aurions pu acheter deux voitures avec la valeur de ce que nous avons jeté cette année ! Et pas deux twingos… ou deux Fiats 500 ! Des grosses ! 40 000€, c’est une somme ! 

- Dans les autres rayons, ajoute-t-elle, des fruits, des légumes, des produits frais -ceux dont la date limite de péremption est dépassée- volent chaque jour à la poubelle ! 

Les poubelles pour poissons sont légion !

Je suis perplexe.

La vendeuse a raison, Les commerçants ne peuvent prendre le risque d’intoxiquer leurs clients avec du poisson avarié.

Mais que penser de ce gaspillage, en cette période où les ressources de la mer sont en diminution constante, où des familles ont tant de mal à payer leur nourriture et où l’on conseille de manger deux fois par semaine du poisson !

Me voici donc à la recherche d’informations supplémentaires sur ce sujet et ce que je découvre m’effraie. Car les poubelles pour poisson sont légion !

criee-aux-poissons-sete-1337109450Cela commence sur les bateaux de pêche. Pour protéger certaines espèces en voie d’extinction par des prises trop importantes, des règles sont édictées et contrôlées par la Communauté Européenne. Il est interdit, par exemple,

  • de pêcher certaines espèces de poissons pendant telle période de l’année ;
  • de pêcher des poissons de petite taille (les maquereaux par exemple, doivent mesurer au moins 20 cm) ;
  • de dépasser les quotas de pêche établis pour certaines espèces.

Et, si ces poissons « sous interdit » sont pris dans leurs filets (ils représentent environ un quart des poissons pêchés), les pêcheurs doivent les rejeter à la mer Parfois, ils ont agonisé sur le pont, ont été abîmés ou écrasés. 50 à 60 % d’entre eux ne survivront pas et serviront de nourriture aux goélands. La mer, première poubelle.

Viennent les ports et leurs criées. Souvent des organismes de producteurs se chargent de la vente et, une fois le poisson entre leurs mains, les pêcheurs individuels n’ont plus rien à dire. Quand la pêche de certains poissons a été très bonne, ces firmes – pour éviter des ventes à un prix trop bas – décident de ne pas le vendre et indemnisent les pêcheurs (par exemple à 0,5 euros le kilo) et ces poissons sont transformés en nourriture pour les animaux. Quant au poisson qui n’a pas trouvé d’acheteur, il est souvent jeté après que les employés l’aient rendu impropre à la consommation. Deuxième poubelle.

Nous arrivons maintenant aux halles des grandes agglomérations où les grossistes mettent leurs achats à la disposition des poissonniers et là aussi, tout n’est pas vendu. Mais, disent les commerçants, presque 75% de ces derniers invendus seront transformés en farine et nourriront les animaux : poissons d’élevage, vaches, cochons, etc. dont ce n’est pas la nourriture habituelle. Ce n’est donc plus du gaspillage.  

Et pourtant ! Ces poissons rejetés dans la mer, dans les poubelles ou transformés en nourriture animale ne seraient-ils pas mieux dans nos estomacs ?

Que faire ?

Les ministres européens de la pêche ont laborieusement trouvé un accord le 27 février 2013 introduisant de nouvelles règles, sur les rejets à la mer, que les pêcheurs et les associations de défense de l’environnement jugeaient inadmissibles. Tout ce qui est pris dans les filets devra être rapporté à terre et sera déduit des quotas. Cette réforme serait appliquée par paliers, d’abord en Mer Baltique en 2015, puis en Mer du Nord et dans les eaux du Nord-Ouest et du Sud-Ouest en 2016, enfin en Méditerranée, en Mer Noire et dans toutes les autres eaux européennes ou non. Les poissons débarqués pourront être utilisés à des fins caritatives. Cet accord doit encore être approuvé par le Parlement Européen.

Bien avant cette décision européenne, une association,  » Le panier de la mer « , a tenté de trouver une solution ; cette association qui a essaimé dans plusieurs ports de pêche de France dont St Malo, Boulogne sur mer, a décidé de récupérer ces invendus, de les transformer et de les mettre à la disposition des épiceries sociales et des associations humanitaires. A l’aide de personnes en insertion, elle travaille les poissons récupérés auprès des pêcheurs sur les criées ou des grossistes des halles et parfois même des grands magasins, en prépare des barquettes de 200g (sous forme de filets). En 2009, elle en a ainsi utilisé 300 tonnes et distribué plus de 400 000 portions.

Il n’est pas facile de trouver des solutions personnelles mais moi j’ai beaucoup de chance : j’achète mon poisson une fois par semaine, pendant 8 mois, sur notre petit marché, à la fille d’un pêcheur du lac Léman et son féra, ce poisson d’eau douce délicieux, est bien frais et seules ses arêtes iront dans ma poubelle.

Renée Lecomte

Références : 

Emissions : 

  • Arte :3 juin 2012
  • Capital 3 février 2013

Écrire commentaire

Commentaires: 0