Le Burkina, un pays parsemé de trous ? Pourquoi ?

Durant la soirée de la dernière Saint Sylvestre,  l’un des convives s’étonnait : « Il y a quelque chose que je ne comprends pas, disait-il, je ne suis pas de la partie, c’est vrai mais, il y a quarante ans, quelques-uns de mes amis allaient au Burkina-Faso construire des puits et aujourd’hui beaucoup de jeunes reviennent d’un séjour là-bas et disent : « Nous avons creusé un puits. » Ce pays est-il parsemé de trous? Les Burkinabé sont-ils si peu capables d’apprendre à les creuser ou ceux qui vont les aider si peu capables de leur enseigner ?  ».

Découvrir, laisser une marque…

Sur le moment, cette réflexion m’a rappelé le constat d’un animateur africain, Paul Sinawosa : «La tranche d’âge des voyageurs de 16/20 ans  vient chez nous pour connaître, mais elle veut « faire » aussi ! Chacun a l’espoir de revenir en Europe, quelques semaines plus tard en se disant : »je suis content, j’ai fait ça ».C’est pour cela que l’on trouve tant de constructions dans leurs projets car, pour arriver à trouver de l’argent, il faut  que les gens autour d’eux voient  qu’ils vont faire des choses concrètes » (1).

Par milliers, chaque année, garçons et filles s’envolent avec ce double désir : découvrir, laisser une marque. Or, pour financer leur envie de voyager et d’être solidaires, ces jeunes vont devoir  trouver une idée qui puisse intéresser d’un coté les familles africaines qui les recevront et de l’autre, les personnes et les organismes succeptibles de leur donner de l’argent ou du matériel . Ces derniers  veulent savoir où ira leur don et à quoi il servira. Rédiger et présenter un projet détaillé avec un budget précis est donc une condition nécessaire pour réussir à partir. Les jeunes ne trouveront pas de ressources si leur projet  ne comporte que l’objectif d’un échange au sein des villages ou des quartiers.

Quand arrive le séjour là-bas, les présupposés émis au moment de la préparation du projet vont être plus ou moins ébranlés par la réalité des conditions de réalisation. Le climat, les rapports sociaux et les difficultés d’intendance, sans compter les incompréhensions réciproques, vont modifier sinon les objectifs, au moins les calendriers et peut-être même les activités. C’est alors la capacité d’adaptation et de négociation des acteurs  locaux et étrangers qui est essentielle. La réussite me semble dépendre plus du suivi des actions au village que de leur prévision  avant l’envol.

Les conditions de la réussite

Qui peut assurer la  qualité de la liaison entre ces deux dernières fonctions ? Il n’est pas possible de l’obtenir à partir des météores que sont la majorité des voyageurs solidaires. Nécessaire est  le rôle d’un partenariat entre deux institutions, l’une qui accueille et l’autre qui envoie. Comment  construire une entente entre deux équipes si différentes ?

  • En premier lieu : Vouloir durer et aller au-delà de la seule réalisation d’une séquence de micro-projets. 
  • En deuxième lieu : Vouloir apprendre et, à chaque fin de voyage, prendre le temps d’écouter. Cette deuxième condition n’est pas seulement une marque de respect envers le jeune voyageur mais est l’une des bases de l’apprentissage des deux équipes et de la capitalisation de leurs expériences . 
  • En troisième lieu : Etre exigeants  les uns vis-à-vis des autres car la confiance et une gestion transparente des deux cotés ne sont pas suffisantes pour que la relation dure en progressant . Il convient de s’estimer assez pour « se  rectifier » l‘un l’autre et de mettre à la disposition des nouveaux  les  estimations  des séjours précédents . Ceci facilite la réussite de séjours successifs de jeunes  voyageurs variés car elle  rassure ces derniers et  insére leur présence au sein d’un partenariat durable. (2)

Ces trous sont-ils l’essentiel ?

Mais ces trous, ces batiments, ces plantations, cette gamme de chantiers – rarement achevés à leur départ – sont-ils  l’essentiel ?

Mamadou Cissokho, co-fondateur d’une organisation paysanne dans son village de Bamba Thialène, à 400 km de Dakar, estime ainsi les effets des séjours de jeunes européens : « En premier lieu, les visiteurs prennent totalement en charge les coûts de leur voyage et vivent dans les villages pour mieux comprendre et partager le fonctionnement de nos sociétés.  Ainsi ils sortent des clichés préhistoriques des « nègres sauvages » et des « Africains mendiants et paresseux ».  Deuxièmement, les villageois ont découvert des « Blancs travailleurs »,  qui peuvent vivre comme nous dans des conditions matérielles difficiles. Des Blancs qui apprécient la nature et nous interpellent sur nos perceptions de leurs pays où tout le monde serait riche et heureux ». (3, p 48 ).

L’un des paysans sénégalais qui -chaque année- travaillait avec les mêmes visiteurs dont parle Mamadou Cissokho évalue ainsi les effets de leurs courts séjours : « Les contacts avec les jeunes étrangers apportent énormément à cause des informations qu’ils peuvent nous donner et ils ont beaucoup d’influence sur les changements sociaux par les débats sur les questions de développement qu’ils peuvent susciter. Et puis, cela est très dynamisant pour une association car un jeune qui vient tisse des liens avec différentes personnes, que celles-ci soient membres du mouvement ou non, ainsi il ramène d’autres villageois vers l’association« . (4)

Quelques jours avant la fin de l’année 2012, un burkinabé, Noël Yempabou Combary, m’écrivait ceci : « Notre association a reçu près de 300 français depuis Novembre 2008. L’esprit de nos séjours est de leur donner d’abord la possibilité de découvrir les traditions africaines, de vivre au village et de rencontrer plein d’acteurs différents pour partager nos visions du monde. Un côté touristique aussi pour voir plein de choses différentes. Derrière ces échanges, nous consacrons également un budget pour accompagner les initiatives d’aide au développement. 4 ans après avoir fondé  au village notre association d’accueil,  je reste convaincu que c’est une bonne chose pour les uns et les autres car ces rencontres, malgré les chocs, se révèlent être des occasions privilégiées pour chacun de nous  de confronter sa vision du monde à celle d’une autre culture. Sans les moyens des Occidentaux, il est évident que peu de gens d’ici auraient eu cette occasion de partager cela avec eux » .

Les liens tissés

Et, comme pour confirmer les conclusions de ces amis africains, arrive à la mi-janvier la lettre de vœux d’une amie de Villefranche-sur-Saone, Monique Desbourbes. Heureuse de son amitié  avec des volontaires,  suisses et français, connus au Nord-Cameroun dans les années 1980, elle écrit : « Je suis toujours en admiration devant ces liens tissés lors des insertions auprès  des populations  et qui perdurent depuis tant d’années. Ils donnent lieu, cet été encore, à des retrouvailles faîtes de réflexion et de détente… J’apprécie ce bain de jouvence, c’est pour moi stimulant : l’engagement des uns et des autres n’a pas été qu’un feu de paille ! »

Alors, pourquoi des puits ?

Pourquoi tant de trous, sinon pour déraciner / enraciner des vies plus conscientes, ici et là-bas ?

Bernard Lecomte

(1) Paul Sinawosa, interviewé par Florie Mino

(2) Voir Revue Aventure, no 131, La Guilde Européenne du Raid, Mars-avril 2012

(3) Mamadou Cissokho, Dieu n’ est pas un paysan, GRAD-Présence Africaine, 2009

(4) Voyageur, certes ! Solidaire, vraiment ?,  GRAD, 2007, fiche 18

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