Marcher sur des vers de terre

Laurence Girard ouvre ainsi un court article, dans un récent numéro du Monde : « Le ministre français de l’agriculture, Stéphane Le Foll, qui – à défaut d’une feuille de route et d’un budget – prône un radical ‘Produisons autrement’, a écouté mardi 18 décembre 2012, à Paris, une dizaine de pionniers de l’agro-écologie. « J’ai arrêté le labour en 1995. Je voulais un sol vivant. Les vers de terre travaillent à la place mais il faut les nourrir » a raconté Philippe Pastoureau, qui exploite 90 hectares en polyculture-élevage dans la Sarthe ». (1)agriculture-biologique-legumes-fruits-ab-mediterranee-nice

Un poète-jardinier

Ces travailleurs-là, Abdoulaye Sarr, un formateur de Tambacounda au Sénégal, m’en avait parlé avec enthousiasme, quelques mois plus tôt:

« Quand je suis revenu de l’école d’agriculture biologique de Beaujeu, pour ne pas rester un cérébral de l’agrobiologie, j’ai acheté un jardin avec ma femme, pour continuer à apprendre et voir les choses par moi-même ».

« Voir d’abord si ce qui se disait dans cette école correspond bien à la réalité, par exemple au niveau des sols. Dés que je descendais du travail, j’ètais là-bas au jardin. Et, chaque fois que je traversais le jardin de mon voisin, je pouvais voir le comportement des plantes, des manguiers et des citronniers, et les sols, même les odeurs, les couleurs aussi, et j’avais un sentiment de mort. C’était tout autre chose quand je rentrais dans le nôtre, surtout avec les premières pluies d’hivernage ».

« Je traitais le sol comme s’il était un humain. J’ai fait plein de petites erreurs, parce que tu ne maîtrises pas tout dans un premier temps ! Mais, au fil des années, on avait l’impression de marcher sur un être vivant. Tant il y avait de vers de terre. Ma femme, au début, elle l’avait en bonne grâce. Mais à un moment donné, il me prenait tellement, qu’elle voyait le jardin comme une rivale. Elle me disait: « Ce jardin, je vais le vendre ». Elle avait peur aussi, car il y avait des reptiles : un jardin biologique, au fur et à mesure qu’il prend, tout le monde animal a envie d’y venir ! Vous pouvez ramasser des escargots, ensuite des serpents, même des poissons. A un moment donné, j’étais tellement envahi par les boas que je suis allé voir les Eaux et Forêts pour demander s’ils ne pouvaient pas les neutraliser avec des fusils à injection ». ‘Le paysage de la vie et de la mort’ est un poème que j’ai écrit alors à partir des émotions, des sentiments que je rencontrais au fond de moi, grâce au jardin, et que j’avais besoin d’exprimer ». (2)

Des émules

Et ce poète-jardinier fait des émules. « On a fait une formation, pour le compost et le bio, avec lui », racontent des jeunes filles voisines qui ont créé une association pour exploiter ensemble un bas-fond. « Alors on a mis le jardin en deux parties : dans une partie du bio, dans l’autre l’engrais. C’est pour faire la comparaison ».

« L’engrais, c’est rapide mais ce n’est pas bon. Si je fais des salades avec l’engrais et que je vais au marché pour les vendre, en deux ou trois jours ça gâte. Mais du bio ça ne gâte pas. Le bio peut durer une semaine ou quinze jours dans les frigos. L’engrais ça gâche le sol, le compost le nourrit. Et l’engrais c’est très cher, le compost ce n’est pas cher car on le fait sur place. Le fumier, on l’achète, par tonne. Ici on le met sous hangar, pour le protéger du soleil. On mélange avec un peu de sable, un peu d’os, et des fanes d’arachides.On empile et on récupère en bas. Si on met les tomates en bio, parfois il y a des attaques. Alors on prend les feuilles du neem, on le bouillit, on va le presser,. Après on met en bouteille et on pulvérise. Le neem ça marche bien. Pour acheter les autres liquides, c’est trop cher pour nous. Voilà le neem derrière toi. Ce n’est pas long à préparer, quinze minutes pour bouillir, presser et 10 minutes pour refroidir ».

« En bio, le jardin a besoin de plus d’eau. Le bio c’est plus long mais c’est très bon. Les vendeuses demandent de plus en plus de bio et le vendent très cher. Cette salade là c’est 250 FCFA, en engrais c’est 125 ! . C’est la préparation qui demande du temps. L’engrais ce n’est pas difficile et ça grossit vite. Le bio c’est petit à petit et c’est plus de travail. Nous voulons maintenant ne faire que du maraîchage bio. Mais cette année on a un peu de retard. Notre compost n’est pas prêt ». (3)

Dans la tête des paysans et non dans les promesses des ministres

Laurence Girard conclue ainsi son reportage : « L’agro-écologie, qui concilie performance économique et environnementale, est le modèle de l’avenir, pour M.Le Foll. Au palais d’Iéna (4) flottait hier un parfum d’agriculture heureuse qui reste pourtant bien marginale. Le ministre a promis de nouveaux programmes d’action dès 2013 ». Cette dernière phrase m’agace suffisamment, en ce lendemain de Noel, pour que je recopie ces extraits d’entretiens.

La révolution bio se fait en premier lieu dans les têtes des paysans et non dans les promesses des ministres. L’un des participants à la rencontre l’exprime clairement : « Nous sommes bien économiquement et aussi socialement,estime Jean-Sébastien Gascuel, qui exploite avec sa femme 80 hectares de terre noire dans le Puy-de-Dôme. Pendant vingt ans, nous avons travaillé en agriculture conventionnelle. Une production très performante de céréales et de betteraves. Puis nous sommes posé des questions et avons décidé de passer à l’agriculture biologique ».

Voir d’abord, comparer, se poser des questions, cela ne se décréte pas .
Mais marcher sur les vers de terre, cela peut convaincre !

Bernard Lecomte

(1) Le Monde du 20 12 12
(2) Entretien entre Abdoulaye Sarr et Bernard Lecomte, à Bonneville,en Juillet 2012
(3) Visite du jardin avec Aminata Cissé et Adama Diop, par Lucile Dubos et Rémi Perrier-Gros Claude, en 2009
(4) Siége du Conseil Economique et Social

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