Une critique d'André Rosanvallon sur “Agathe“

Ses études universitaires achevées après la soutenance de son mémoire (voir  « Agathe,agent S.I. »), Agathe part au Burkina Faso, embauchée pour la section  « Appui aux femmes » dans un programme public de développement rural. Son histoire croise alors plusieurs autres trajectoires individuelles et collectives qui s’inscrivent toutes dans des démarches  de coopération internationale :

  • des projets  de la coopération décentralisée au Burkina Faso ;
  • deux programmes au Sri Lanka : un programme de maintien de la paix  et un programme de soutien de la pêche artisanale ;
  • un aménagement urbain dans les favellas au Brésil, dont la mise en place de réseaux locaux de crèches et de banques alternatives.

« Agathe » n’est pas une publication ordinaire dans un domaine – celui de la coopération internationale – où la littérature est volumineuse. Elle utilise un support original, et surprenant à priori : la bande dessinée. « Agathe » est une BD conçue et réalisée par le GRAD, et qui -pour l’instant -comprend deux tomes :

  • un tome I « A la découverte de la solidarité internationale »,
  • et ce tome II « Travailler dans la coopération internationale ».

Il s’agit d’histoires illustrées sous la forme d’une suite de dessins qui servent de support graphique à des constats et des analyses sur la réalité de la coopération internationale

Le risque, dans ce type d’exercice, est de privilégier la forme, les côtés ludiques et la dimension amusement de la BD, au détriment du fonds. Ici, il n’en est rien. Le mérite de cette publication est d’être à la fois esthétique et agréable dans sa forme et particulièrement réussie et pertinente quant au fonds. Elle est tout à la fois plaisante et sérieuse.

S’agissant de la forme, on doit reconnaître la qualité narrative des dessins et du graphisme. Les personnages et leurs visages sont toujours très expressifs. Les décors rendent bien compte de la beauté, parfois de la laideur, des paysages. L’utilisation de « textos » au bas d’un grand nombre de dessins est une riche trouvaille qui donne de la convivialité à la narration. D’une manière plus générale, la forme est particulièrement bien adaptée au fonds et renforce le caractère décapant du contenu.

S’agissant du fonds, « Agathe » est sans aucun doute un efficace outil pédagogique compléte les autres publications du GRAD.  Ce deuxième volume a plusieurs mérites :

  • c’est un média de sensibilisation et de formation pour ceux qui veulent s’engager ou qui agissent déjà dans la coopération internationale, tant sur les aspects positifs de ces taches que sur leurs aspects négatifs. Il relate des moments d’enthousiasme (sentiment d’être utile, hospitalité et générosité des populations impliquées, ouvertures interculturelle et interpersonnelles…) et des moments de découragement et de « galère ». Et des coléres aussi ! Quand, par exemple, des bailleurs de fonds ou des partenaires de la coopération décentralisée imposent des prescriptions et des pratiques qui ne « marchent » pas ou  parfois sont nocives.
  • c’est un « média » réussi d’initiation et de formation qui renouvelle et actualise la manière de traiter de ces problèmes. C’est un support pédagogique qui rend compte de la diversité des modalités de coopération internationale (humanitaire, aide au développement, coopération multilatérale, bilatérale, décentralisée…). Il utilise les mots du langage du développement (cadre logique, arbre à problèmes, participation…fonds non affecté d’avance). Il insiste à juste titre sur la diversité et les contradictions dans les jeux et les stratégies des acteurs ( Nations Unies, Etats, agences d’aide, collectivités locales, ONG, organisations paysannes, groupements féminins….). D’une manière plus générale, la publication rend compte de plusieurs critiques et limites des pratiques courantes actuelles du système d’ aide internationale. Elle témoigne de l’ampleur et de la diversité des enjeux qui sont,  bien ou mal, pris en compte par les acteurs locux et étrangers. Elle est une invitation permanente à s’interroger, à faire autrement, sinon à penser autrement.
  • c’est une forme intéressante de captation et de capitalisation d’expériences et un mode particulièrement pertinent d’échange et de diffusion de celles-ci .  Soulignons l’intérêt des lexiques présentés à la fin de la BD et qui vise à définir les « mots clés » utilisés dans le texte. Dans le premier tome , 50 expressions avaient été présentées, 40 le sont dans celui-ci, faisant de cette « bande dessinée » une introduction aux 90 fiches « Pour aller plus loin » en cours de publication sur le site http://www.grad-S.net. Chacune de ces dernières, de une à vingt pages par mot clé, apporte (ou signale) des documents d’origine orale ou écrite.

« Agathe » est donc un instrument– et pas seulement une bande dessinée – à recommander vivement à tous ceux et celles (et à leurs employeurs) qui s’interrogent sur leurs pratiques, sur le sens de leur engagement pour un monde plus solidaire et sont à la recherche de pratiques individuelles et collectives alternatives.

Et, au fur et à mesure de sa construction, le site deviendra  -à la fois- un outil de référence pour les étudiants et un lieu convivial d’échanges pour les acteurs de la coopération.

André Rosanvallon

** Les deux tomes de la bande dessinée Agathe sont en vente sur la boutique en ligne

 

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